dimanche 13 novembre 2011

« La cruauté envers les animaux peut devenir violence envers les hommes. » ▬ Ali McGraw

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Coney Island Low by Clint Mansell & Kronos Quartet

Gwendhal, NON !

Trop tard. Le chiot était allongé là, inerte, gisant sur l’herbe mouillé. Le rouquin avait une main tendu, les doigts crispés, le visage étrangement serein, ses cheveux virevoltant au rythme effréné du vent qui soufflait d’une violence sans pareille. Quelques minutes auparavant, le fidèle compagnon était encore vif et en pleine santé. Gabrielle se rua sur son fils adoptif, l'attrapant et le tirant en arrière par les aisselles. L'enfant manqua de tomber mais ne résista point. Ses yeux verts innocents étaient fixés sur le pauvre animal.

Qu’as-tu fait ?!

Elle semblait apeurée, tremblotante d’effroi, son regard pétrifié rivé vers le visage du garçon. Elle tâcha d’apercevoir une réponse dans l’étrange lueur de ses yeux verts. Elle était déconcertée, passant et repassant sa main devant les yeux de son fils, comme pour le faire revenir parmi les vivants. Il était absent, immobile, et sa respiration était calme. Gabrielle hurla, ameutant son mari. Elle posa une oreille contre le petit torse. Rien d’anormal. Elle qui était infirmière, elle n’avait jamais vu une transe pareille. Quelques minutes plus tard, alors que les parents s’évertuaient à comprendre ce qui s’était passé, Gwendhal détourna les talons, remontant lentement l’allée vers la maison. La jeune femme l’observa s’éloigner, profondément choquée. Quand la porte du foyer familial se referma doucement derrière l’enfant, le père, après avoir improvisé un drap de toile pour envelopper la dépouille, recouvrit le pauvre chiot. Il était petit et il n'eut aucun mal à le porter dans ses bras. Il l'éloigna autant que possible de la demeure familiale. Refaisant le chemin inverse, il revint auprès de sa femme qui tâchait de d’éponger ses yeux gonflés et rougis. Il l’enlaça contre elle, tentant de la calmer, avant de passer un bras autour de ses épaules pour l’emmener à l’intérieur. La nuit commençait doucement à recouvrir les plaines de son voile noir.

Dans le salon, Gwendhal et Lloyd avaient les mains tendues vers les braises de la cheminée pour se réchauffer. Les flammes dansaient et crépitaient tandis qu’un silence de plomb s’installa peu à peu. Gabrielle monta à l’étage. Seul restait le père. Il se laissa tomber dans son fauteuil en velours, posant ses mains sur les accoudoirs. Il cherchait comment aborder la discussion sans faire fuir le garçon. Mais avant même qu’il n’eut le temps d’ouvrir la bouche, Gwendhal s’était retourné, le fixant de son regard déterminé et sans remords.

N’essaie pas de comprendre, c’était volontaire.

Lloyd, l’aîné, prit la main de son frère et ils montèrent tous deux dans leur chambre. Tombant des nues face à cette situation grotesque, le père ne sut que répondre. Un nouveau silence s’installa alors, plongeant l’homme dans une profonde réflexion. Pour la énième fois, il se demanda si cette adoption avait été une bonne idée.

samedi 12 novembre 2011

Abandon

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Lily's Theme by Alexandre Desplat

Leurs parents sont décédés dans un accident de voiture. Ils ne veulent absolument pas être séparés. Il est rare pour nous d’exiger une telle requête, mais le petit semble complètement déboussolé sans son aîné.

Le directeur de l’orphelinat se laissa basculer légèrement en arrière sur son siège, croisant les mains en observant le couple en face de lui. Ce qu’il n’avouait pas, c’était qu’il voulait absolument se débarrasser de ces deux petites terreurs. L’un se donnait un malin plaisir à torturer les animaux tandis que l’autre s’évertuait à ligoter et frapper ses camarades de chambrée. Jamais le directeur n’avait eu à assister à de telles atrocités. Un vent de panique soufflait dans les rangs de l’orphelinat lorsqu’il s’agissait de s’occuper des enfants Hewitt. Quand l’occasion se présenta, le vieil homme se précipita pour pré-remplir les dossiers de sortie. Ces enfants devaient être placés, coûte que coûte.

Ils ne sont pas turbulents, j’espère ? Loin de moi l’idée de les juger, mais vous savez ce que c’est… Perdre ses parents doit être une épreuve atrocement difficile. Dieu seul sait ce qu’il leur passe par la tête à cet âge.
N’ayez crainte, Madame. Ce sont très certainement les deux enfants les plus sages et les plus serviables qui soient. Les nourrices sont d’ailleurs extrêmement attristées de les voir partir. Nous étions tous très attachés à eux, vous savez.
Quand pouvons-nous les emmener chez nous ?

Un sourire forcé étira les lèvres desséchées du directeur. Le couple signa sans rechigner les dossiers d’adoption, fier de ramener deux têtes juvéniles dans leur sobre foyer. Aux fenêtres du château, l’on pouvait apercevoir les femmes de ménage, les cuisiniers, les professeurs, les orphelins et le reste du personnel. Tous souriaient, feintant la tristesse avec leurs mouchoirs blancs dans leurs mains. Seulement, lorsqu’ils furent assurés que la voiture qui avait emmené les garçons Hewitt s’était bel et bien éloignée, ils laissèrent éclater leur joie, leurs cris d’euphorie retentissant à travers toute la demeure.

À l’arrière de la voiture, les deux garçons observaient le paysage. Tout était silencieux. La mère ne cessait d’essuyer son visage de son mouchoir en soie. Elle était heureuse; elle qui n’avait jamais eu la chance de pouvoir enfanter, elle allait ramener deux jolis minois chez elle. Elle allait enfin fonder une famille. À ses côtés, conduisant sereinement la voiture, son mari avait posé une main réconfortante sur sa cuisse. Tout cet amour étranger écœura Gwendhal au plus haut point. Ébouriffant d’un geste sa chevelure rousse, il se laissa aller sur la banquette, posant sa tête contre le cuir. Lloyd ne cessait de le fixer. Âgés de onze et douze ans, ils étaient déjà bien trop rusés et machiavéliques. Le petit brun laissa glisser sa main vers la cuisse de son frère dans un sourire entendu. Gwendhal ne bougea pas d’un pouce, observant leurs nouveaux parents dans le rétroviseur. Lloyd s’amusa à caresser Gwendhal, les yeux rivés vers les lèvres de son cadet. D’un geste vif, le roux attrapa sans ménagement la main de son frangin et la plaqua contre sa propre entrejambe. Ils se mirent à sourire étrangement, avant de cesser leurs attouchements au moment où la jeune femme jeta un œil dans le rétroviseur. Lloyd reporta son regard vers le paysage, Gwendhal fit de même. Tout restait silencieux.